L'Esprit de Communauté

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On a souvent considéré avec une condescendance à peine masquée les relations, les amitiés nées sur internet, car elles sont « virtuelles », irréelles, autrement dit : non-authentiques. Beaucoup ont entendu cette injonction d’aller « voir ses copains en vrai, plutôt que de rester planté devant son écran »… *soupir*

Des gamers (entre autres geeks) vous diront mieux que moi que cette opposition entre relation réelle et relation virtuelle n’a aucun sens. Moi, je peux seulement évoquer mes amitiés nées de discussions passionnées sur divers forums (eh oui, bientôt trentenaire), qui m’ont permis de m’affirmer, de partager mes idées sans risque d’être jugée, car nous savions que sur cet obscur forum traitant de mangas ou de Tokio Hotel (bientôt trentenaire, j’ai dis) nous partagions les mêmes centres d’intérêt. Elles n’ont pas duré, m’objecterait-on : or, combien d’amitiés passionnelles d’enfance (ou de plus tard) avons-nous laissées derrière nous ? Elles n’en demeurent pas moins de vraies relations qui ont compté.

Ce qu’on vit aujourd’hui, en ces jours de confinement, les geeks le savaient déjà : pas besoin de proximité physique pour se sentir en communauté.

Et là, chacun·e peut en faire l’expérience, pour peu évidemment qu’iel1 ait accès à internet (aujourd’hui produit de première nécessité plus que luxe, mais c’est un autre débat) : il n’y a qu’à regarder le nombre de paroisses qui se sont mises à diffuser vidéo et/ou audio de culte, de recueillement, de prières, … Hors domaine religieux également, les offres à vivre quelque chose ensemble durant le confinement affluent de toutes parts : stream en masse, cours de yoga, enseignement à distance, live instagram, … Quant à moi, je me connecte chaque matin au Morning Boost de Nina Luka (coach en relation et self-love), pour danser en conscience avec des dizaines d’autres personnes – ce que je n’avais jamais fait avant de ressentir ce besoin de me connecter, pour contrer l’isolement et la distanciation sociale (également pour me motiver dans ces longues journées de télétravail).

Et on oublie– je vais plutôt continuer de parler en « je » : j’oublie trop souvent qu’il y a un autre moyen, bien moins moderne celui-là, de tisser du lien à distance : les lettres. Laissez-moi vous avouer un truc : ma grand-maman est à l’EMS, et depuis qu’elle y est, je peine à prendre le temps d’aller la voir, je repousse à plus tard car « j’ai des choses à faire ». Et là, quand j’ai réalisé qu’effectivement je ne pouvais pas aller la voir, j’ai eu un temps de réflexion. Puis l’évidence est apparue : je peux lui écrire une lettre ! Je lui ai donc écrit une lettre. Et je vais lui en écrire d’autres. Pendant le confinement, mais aussi… après. (Entre le moment de la rédaction et celui de la publication, ma grand-maman est décédée. Ecrivez à vos vieux, bordel ! … Bref, ce deuil renforce encore mon besoin d’être en lien avec mes proches plus assez proches pour le moment.)

Tout ça, pour peu qu’on s’y investisse un minimum, ce sont des relations authentiques et virtuelles (si l’on entend « virtuel » comme médiatisé par internet ou autre, et non comme opposé à la réalité), qui enrichissent, apaisent, motivent. Une communauté sans proximité physique n’est pas une communauté au rabais, c’est une vraie communauté. Je le ressens tellement après une discussion online avec mes collègues chers à mon coeur, ou une visio avec ma famille : nous étions ensemble, et ça m’a fait du bien.

Et s’il faut absolument chercher du positif à ce coronavirus, outre les bienfaits en termes environnementaux, nous aurons au moins pu prendre conscience de ça, et ne plus mépriser ceux d’entre nous qui privilégient cette façon de faire communauté.

D’ailleurs, on peut se poser la question : pourquoi les chrétien·ne·s ont-ils craints l’absence de culte ? Est-ce la présence à l’église le dimanche matin qui fait la communauté ? En ce cas, je n’en ferais pas partie… Mais en fait, l’Eglise est avant tout une communauté immatérielle, une communauté d’Esprit.

C’est qui, c’est quoi l’Esprit, d’ailleurs ?

Jetons un coup d’oeil rapide (promis) à un passage biblique : « Ils furent tous remplis d’Esprit saint et se mirent à parler en d’autres langues, selon ce que l’Esprit leur donnait d’énoncer. […] Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue. »2

Ça n’est pas ici ce multilinguisme miraculeux en soi qui nous intéresse, mais bien cette capacité à se mettre en lien. Les gens se sont sentis rejoints, et c’est si joli de lire qu’ils en ont été « bouleversés ». Oui mais, me direz-vous avec un à-propos certain, tu nous parles de relation sans proximité physique et ton exemple montre des gens qui se rencontrent IRL3. Certes. Mais ce qu’il faut voir, c’est qu’avant l’intervention de ce Saint Esprit, ces gens n’avaient pas moyen d’être intimement rejoints (barrière de la langue, tout ça). Les apôtres investis de cet Esprit ont en réalité reçu la capacité de se mettre en lien avec eux. C’est là le vrai miracle. Et comme Dieu leur a implanté une sorte de Google trad. instantané, je ne peux m’empêcher d’y voir un précurseur d’internet. L’Esprit, pour moi, ça n’est pas tant une abstraction théologique que cette réelle capacité à être en lien. Que ce soit en face à face, par chat, en visio, par téléphone, ou par la prière.

Est-ce qu’avec ce que nous vivons en confinement, on n’aurait pas l’occasion de repenser nos relations, nos communautés ? Au lieu d’opposer virtuel et réel, nous pourrions simplement considérer que les relations humaines passent par toute une diversité de supports, certains permettant effectivement de palier la distance tandis que d’autres favorisent le contact direct, et que c’est à chacun·e de se positionner pour entrer en lien de la manière qui lui convient le mieux.


  1. Pronom neutre dépassant l’opposition masculin-féminin ↩︎

  2. Actes des Apôtres 2, 4.6 ↩︎

  3. In Real Life, dans la vraie vie. ↩︎

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