Voici l’homme… Une méditation pascale sur fond musical de jeux-vidéo

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Une méditation pascale à la première personne, depuis la perspective de Jésus, sur fond musical de The Witcher et Spellforce.

Rameaux

Aaah, c’est ce qu’ils attendent tous. Un général sur son beau destrier blanc bardé de fer et sabre au clair. Comment les blâmer. Après tout, Moïse a séparé la mer en deux, Elie a fait tomber le feu du ciel, Daniel a survécu dans la fosse aux lions, Chadrak, Méchak et Abed-négo, assistés d’un ange, n’ont pas brûlé dans le feu de leur supplice narguant l’ennemi babylonien.

Les cris de la foule et de mes disciples rendent fous les pharisiens. Certains d’entre eux me haïssent, et cela dure depuis presque trois ans. Ils ne sont pas tous aussi méchants ou butés. Lorsque je déjoue leur piège, certains me gratifient d’un « maître, tu as bien parlé ». Mais ils sont si peu… à avoir l’humilité de reconnaître que j’ai raison. Et encore ! Ils me concèdent mon habileté rhétorique, mais crieront-ils « Hosanna » aujourd’hui ?

Quelques pharisiens sournois, les plus courageux, osent me défier frontalement « Fais taire tes disciples ! » me disent-ils. Comment le pourrais-je ? Ce cri du cœur de la foule est authentique, je ne veux pas couper cet élan de vie. Ma patience a été sérieusement écorchée ces derniers temps, je ne peux m’empêcher de lâcher : « S’ils se taisent, c’est les pierres qui crieront ! »

Leur visage s’empourprent. Ils étouffent d’indignation. Succombez donc de votre jalousie ! Les attentes de la foule envers le Messie ne sont pas toujours ajustées, certes, mais ils ont su reconnaître celui que le Père a envoyé. Cela fait du bien, pour une fois, de ne pas devoir me cacher, d’être menacé de pierres, ou qu’on tente de me jeter en bas de la falaise. Mais je le sens bien, ils préparent un sale coup, ils attendent de laisser passer les fêtes pour éviter l’esclandre.

Nous approchons de Jérusalem. Malgré l’ambiance de fête, je commence à pleurer. Ô Jérusalem ! Si toi aussi tu connaissais les choses de la paix. Mais maintenant, elles sont cachées à tes yeux. Un jour, tes ennemis t’encercleront et tu succomberas.

Personne ne semble remarquer ma tristesse, tout occupé à vivre pleinement leur allégresse. Personne, sauf peut-être ce médecin qui croise brièvement mon regard, qui plonge dans mon âme. Cher Luc, seul témoin de mes larmes de désespoir et mon regret face au sort réservé à cette merveilleuse ville promise à la déchirure. Je vous le dis en vérité, il ne restera pas ici pierre sur pierre, tout sera détruit. Quand ? Et comment savoir qu’il sera temps de ton retour et de la fin du monde ? Personne ne le sait, moi-même je ne le sais pas…

Parfum à Bethanie

Plus tard, j’ai voulu me rendre à Béthanie en attendant la pâque. Nous mangeons chez mon ami, Simon, que j’ai guéri de la lèpre il y a quelques mois. Je dois avouer que cela me fait du bien, ce repas avec mes amis. Je me suis senti beaucoup seul ces derniers jours, j’ai le cœur lourd… depuis le temps que mes disciples me suivent, que la foule m’entend, je commence à croire que je tourne en rond. Je commence à être à court de paraboles… Je les aime tellement. Mais qu’auront-ils retenu de mon enseignement, lorsque je serai parti ?

Soudain, une femme entre. Elle tient une fiole dans sa main. Elle la débouche sans un mot et en verse le contenu sur ma tête. J’incline légèrement le buste, les yeux clos, cachant les larmes qui se pressent contre mes paupières. Un voile liquide et léger au parfum si doux m’enveloppe tout entier. Un geste silencieux, intense, solennel. Elle sait. Cette femme sait que je ne suis pas homme à mourir vieux dans mon lit. Elle m’offre la sépulture que je n’aurais pas. Ce temps de grâce est bien trop court, déjà j’entends mes disciples railler et se plaindre. « C’est du gaspillage ! Un parfum si luxueux, nous aurions pu le vendre pour nourrir les pauvres ! »

M’offrir un cadeau, du gaspillage ? Je ne mérite donc pas autant ? Ils rient et mangent avec moi comme s’ils me considéraient comme acquis, comme si nous ne mourrons jamais. Ils pensent à nourrir les pauvres. Très noble ! Je sais bien qu’ils sont sincères…

Hier, j’ai vu une veuve mettre deux piécettes pour le Temple. La pauvre dame a mis bien plus dans le tronc que tous ces riches qui ont fait tinter contre le bois une petite part de leur surplus. Je crois bien que j’ai vexé les gens sur place en disant que son don à elle était le plus grand, car elle y a mis tout son nécessaire pour vivre. Elle a vraiment fait un saut de foi.

Exactement comme cette dame de mauvaise réputation, harangué par ces hommes autour de cette table parce qu’elle renverse toutes ses économies dans mes cheveux et sur ma tunique.

Elle aussi, a fait un saut de foi. Elle l’a fait pour mon ensevelissement. J’ai envie de lui demander « Le sais-tu ? Toi aussi tu sens les nuages noires qui s’accumulent ? Mon Père t’a-t-il avoué les secrets de mon avenir qu’il n’a pas encore voulu me révéler ? »

Mais je ne lui demande rien et, une fois de plus, je reprends mes hôtes et mes disciples, qui peuvent parfois faire preuve de rudesse. Ce doux parfum ne me quitte plus, je me sens comme dans un cocon de tendresse.

Le Mont des Oliviers

Deux jours après cet incident, nous retournons au mont des Oliviers. J’aime cet endroit. Depuis que je suis à Jérusalem, je finis presque toujours mes journées ici. J’aime la ville, j’aime ses habitants, mais j’y étouffe parfois. Le soir, les portes se ferment, tout le monde soupire, retire son masque social, compte ses deniers et ses soucis. Je demande à ceux qui m’accompagnent de rester près de nos affaires et je m’isole avec Pierre, Jacques et Jean. Mes plus proches amis, ceux qui étaient avec moi sur la montagne où je fus transfiguré. Quelque chose de grave se prépare, je sens que je peux le partager avec eux. Je ne veux pas être seul …

J’ai peur et j’angoisse. Mon âme est triste à en mourir. Jamais je ne me suis senti ainsi. Lorsque je me retourne auprès de mes amis, ils dorment. Cela fait à peine une heure. Du nerf, par pitié ! Veillez avec moi…

Mais je les sens s’assoupir à nouveau, ils s’éloignent encore. J’ai tant besoin d’eux. Ils sont si plein de bonne volonté… mais la condition humaine est si pétrie de faiblesse. Néanmoins, je crois que je ne peux qu’être seul face à mon destin, face à mon Père.

« Père, si cela est possible, que cette coupe amère s’éloigne de moi ! »

« Toutefois, non pas ce que je veux mais ce que tu veux. »

J’ai si chaud, je me sens mal. Je me passe la main sur le front. Ma paume est pleine de sang et d’eau. Je panique, j’ai besoin d’aide… J’entends un bruissement d’ailes. Est-ce une hirondelle perdue ? Une chouette ? Les branches des oliviers se ploient. Le battement d’ailes, d’abord bruit assourdissant se transforme en souffle moelleux. Je reconnais un ange de mon Père qui s’approche de moi pour me fortifier. Sa présence est apaisante. Il ne peut me toucher que du bout de ses doigts, mais déjà je sens la justice me redresser, me gainer comme dans une cuirasse. La crainte et les tremblements sont repoussés dans un coin de mon esprit, écrasé par la lumière divine qui gonfle mon cœur. Je me sens prêt à l’ouvrir en deux et le faire se déverser sur le monde entier. Une fiévreuse et sincère prière monte au ciel. Je pourrais rester ainsi pendant des heures. …

Cependant, ils arrivent déjà. Une foule envoyée par les anciens et les sacrificateurs. J’entends des armes cliqueter au rythme de leur pas, leurs torches bravant timidement le reste d’obscurité, chassé déjà par l’aube à l’horizon. Si lâches. Au-devant se détache une silhouette. Ah…. c’est donc toi qui me trahi.

« Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le ».

L’arrestation

Un baiser. Judas me salut d’un baiser, salutation si commune, si anodine. En apparence, tout est comme d’habitude. Nos regards s’accrochent, sa main s’attarde, tremblante, cherche un appui contre mon bras. Je regarde déjà par-dessus son épaule.

« Qui cherchez-vous ? »

« Jésus-Christ »

« C’est moi »

Ils ont un mouvement de recul, semblent hébétés, comme réveillé en sursaut. Je dois répéter une deuxième fois ce manège.

« Je vous ai dit que c’est moi. Si donc vous me cherchez, laissez partir ceux-ci ».

Je me rappelle bien de ma prière « je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donné Père ». Je ne vais pas commencer un bain de sang maintenant.

Malgré tout, mes disciples sortent leurs épées, comme pour égaliser le tableau, être en miroir de cette honteuse milice. Folie ! Ai-je donc besoin de quelques tiges de fer et des bras de chair pour me défendre ? Père, à l’instant, tu pourrais envoyer 12 légions d’anges à mes côtés pour me défendre ! Le feras-tu ?

Le premier coup est parti, une oreille est tombée. Ce n’est pas un ange, c’est le plus zélé de mes amis. « Simon Pierre ! Range ton épée ! »

Je soupire avec une pointe de douleur. Les anges resteront au Ciel ce matin, j’ai bien compris. La fougue de Pierre qui veut me protéger me touche mais je me précipite auprès du soldat blessé pour soigner son oreille. Que cela, au moins, lui permette d’entendre.

« Vous êtes venus vous emparer de moi armés d’épées et de bâtons, en surnombre, hors de la ville comme pour appréhender un brigand ! J’étais tous les jours parmi vous, enseignant dans le temple et vous ne m’avez pas arrêté. Mais c’est afin que les Écritures soient accomplies » .

A ces mots, mes disciples prirent la fuite. Pas que… je crois bien avoir vu du mouvement parmi la foule armée et compacte envoyée par le Temple. Qu’importe… bientôt mon destin s’accomplira enfin.

Voici l’homme …

Méditation vécue IRL le 12 avril à Chavannes-sur-Moudon dans le cadre de la semaine sainte.

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