Vegeta et l'amour: aux prises avec notre humanité

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« C’est qui ce monsieur énervé ? » Cette question de ma fille de 3 ans et demi peut susciter le malaise. Et pourtant, elle parle de mon t-shirt. Je lui explique : « il s’appelle Vegeta, c’est quelqu’un dans une bande dessinée. » Sa curiosité est satisfaite. Elle me reposera la question quand j’aurai remis ce t-shirt dans quelques semaines, ou peut-être pas.

J’ai ce t-shirt depuis longtemps. Il immortalise Vegeta dans une scène toute particulière qui m’a toujours énormément marqué. Laissez moi vous rafraîchir la mémoire : Vegeta est un personnage créé par le mangaka Akira Toriyama pour la série Dragon Ball. Cette série comporte initialement 42 tomes parus entre 1984 et 1995 et suit le personnage de Son Goku. Pour les trentenaires comme moi, nous avons découvert la série à travers nos frères et sœurs plus âgés ou les divers produits dérivés. À cette série initiale se sont ajoutés deux séries animées (Dragon Ball GT et Dragon Ball Super).

Dragon Ball

Inspirée du conte traditionnel chinois la Pérégrination vers l’Ouest, l’histoire raconte les aventures de Son Goku, un garçon à la queue de singe rencontrant Bulma, une jeune fille impulsive à la recherche des Dragon Balls. Celles-ci, une fois réunies, font apparaître un dragon géant bienveillant nommé Shenron qui exauce le souhait de la personne qui l’a invoqué.

S’ensuit une aventure riche en rebondissements et en personnages attachants. Au milieu de son œuvre originale, Akira Toriyama opère néanmoins un virage. Son Goku grandit physiquement et la trame de l’histoire se fait plus mature. Des aliens anthropomorphes arrivent sur terre, dévoilant l’origine extraterrestre de Son Goku : il appartient au peuple guerrier des Saiyans. Parmi ces Saiyans se trouve Vegeta. Il en est le prince, fils du dernier roi, mort avec lors de l’explosion de sa planète natale. Aux yeux de Son Goku et de ses compagnons, il est le mal et la cruauté incarnés. Un combat s’ensuit, Vegeta et Son Goku sont les deux seuls survivants, Vegeta est contraint à fuir pour panser ses blessures.

La suite des aventures prend des proportions galactiques. Vegeta rencontre à nouveau Son Goku et ses amis, et finira par s’allier avec eux. Il viendra même s’installer sur Terre et fonder une famille. C’est vite raconté mais c’est essentiel pour la suite de ce que je vais dire. Si des éléments vous manquent, il ne faut pas hésiter à (re)lire l’oeuvre de Toriyama. Ainsi, au contact de Goku, Vegeta se calme et découvre pourquoi Goku est fort : il a des gens qu’il aime à protéger.

Un sacrifice inutile?

Lors du dernier arc de la série, un sorcier invoque une créature extrêmement puissante appelée Buu. Le sorcier a le pouvoir de contrôler la part mauvaise des gens pour qu’ils soient plus forts et soumis à son pouvoir. Goku étant complètement pur ne peut pas être soumis à ce pouvoir, mais ce n’est pas le cas de Vegeta, qui révélera plus tard s’être soumis au pouvoir intentionnellement pour ne plus ressentir de bonté, d’humanité. Son objectif: enfin dépasser et vaincre Goku.

N’étant plus que cruauté et mal, « Vegeta mauvais » se bat sans arrières-pensées et fait jeu égal dans le combat avec son meilleur ennemi. Néanmoins, l’arrivée de la créature nommée Buu contrarie ses plans ; Goku refuse le combat pour sauver les siens. « Vegeta mauvais » décide donc de régler son compte à Buu afin de pouvoir reprendre le combat avec Goku.

Malheureusement pour le guerrier saiyan, Buu est beaucoup trop fort pour lui. Il lui vient alors une idée radicale : se sacrifier pour effacer Buu de la réalité. « Vegeta mauvais » étreint Buu, concentre toute son énergie et la laisse jaillir en dehors de son corps, provoquant une énorme explosion. Vidé de toute énergie, « Vegeta mauvais » tombe à terre. Son corps se brise comme une statue de verre. À la stupeur des personnages restants, Buu se régénère, rendant le sacrifice de « Vegeta mauvais » complètement vain.

Seulement, ce sacrifice marque un tournant décisif dans la saga, et pour deux raisons. La première, c’est qu’en réalité le sacrifice de Vegeta n’est vain qu’en apparence. Grâce à celui-ci, les compagnons de Goku apprennent la faculté de régénération du monstre Buu et la manière de le vaincre. Ce combat devient donc crucial dans la manière de résoudre l’épineux « problème Buu. » Le manga original se termine d’ailleurs après la mort du monstre.

La seconde raison, c’est que Vegeta était toujours « Vegeta mauvais » lors de son sacrifice. Ainsi, au cœur de son désir de puissance et de revanche, la bonté fait son chemin à nouveau dans l’esprit du guerrier. Aux prises avec un dilemme auquel il aurait logiquement dû répondre par la fuite, Vegeta choisit le sacrifice, une frontière jamais franchie même dans son état normal. Vegeta qui est devenu mauvais pour s’affranchir de son humanité, de sa « bonté », découvre une part encore plus profonde de cette humanité. Elle n’est pas constituée uniquement d’idéaux niais. Ce que Vegeta nomme « bonté » ou « humanité », c’est quelque chose qui est profondément enraciné. C’est ce qu’on appelle l’amour.

Un amour végétal

J’aime cette image végétale pour parler de cette émotion forte qui nous pousse à dépasser les limites imaginables. L’amour est profondément enraciné en Vegeta, au delà même de ce qu’il pense. Et tout ça, ça me fait penser à la parabole du Semeur.

Présente dans les Évangiles de Marc, Matthieu et Luc, cette histoire que Jésus raconte nous décrit le travail d’un semeur infatigable. Il sème dans la bonne terre fertile et meuble, mais pas seulement. Il sème aussi sur le bord des chemins, dans des endroits pierreux ou encore dans les ronces. Le destin de ces graines n’est pas glorieux : elles se font respectivement picorer par les oiseaux, dessécher par le soleil ou étouffer par les ronces. En somme, seule la bonne terre peut accueillir les graines pour germer et porter du fruit.

Un des enseignements apporté par ce texte, c’est que le semeur ne se fatigue pas. Ainsi, il est possible de rendre fertile les bords de chemin, les endroits pierreux et les endroits étouffés par les ronces, jusqu’à ce que la graine prenne.

Son Goku est un exemple de semeur : il ne cesse de rassembler autour de lui celles et ceux qui autrefois étaient ses ennemis jurés. Vegeta est, quant à lui, l’archétype de la terre infertile. Néanmoins, il se travaille et se laisse travailler par celles et ceux qui l’entourent, à commencer par sa compagne, Bulma, celle qui initie l’aventure de Dragon Ball. C’est aussi elle qui, fréquemment, est un personnage qui permet de débloquer la situation et de développer l’intrigue.

En remettant ce t-shirt, je ne cesse de me rappeler de ce Vegeta qui, croyant avoir abandonné toute humanité dans sa quête de puissance, a en réalité compris à quel point il aimait ce monde et ses habitants. Vegeta qui, comme preuve d’amour ultime, se sacrifie. Vegeta qui, de terre étouffée par le désir de vengeance, est devenu terre fertile où un amour puissant s’est enraciné.

Zinou aka Sylvain Corbaz

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