Comment Total War Warhammer II m’a appris que je sous-estimais mon rang de force au travail

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Il y a des phases de ma vie où j’ai besoin de passer beaucoup de temps devant un écran. Cela me permet de décompresser et, régulièrement, au fil d’une narration très immersive, de découvrir un autre point de vue qui m’inspire pour démêler des tracas du quotidien réel. Mes personnages de Skyrim ou de Dragon Age ont été de très grandes ressources pour moi, mais je ne pensais pas recevoir une leçon existentielle d’un Total War…

Total War Pour les non-initiés, Total War est une série de jeux stratégiques qui combinent du tour par tour, de la gestion économique et des batailles en temps réel. La franchise s’inspire tant de l’histoire que de la fantasy (Warhammer, justement, le jeu de figurines bien connu des années 80). Différentes factions s’affrontent, chacune ayant leur propres systèmes économique et militaire. Après plusieurs parties sur les factions adaptées aux débutants, je m’essaie à une faction un peu plus technique : les rois des tombes (une faction d’inspiration pharaonique, version mort-vivant).

Des genoux qui claquent

Je commence ma partie dans un coin de carte, coincée sur une petite île et séparée du reste du continent par une chaîne de montagnes remplie de nains bardés de fer. Je n’ai pas encore beaucoup d’expérience sur le jeu et je n’ai lu aucun guide sur cette faction. Mon jeu est un peu trop agressif et, après 3 défaites expéditives, je prends acte et ralentis un peu le rythme.

les rois des tombes

En même temps, avec cette bande d’humérus cassé…

Je graisse abondement la patte d’un allié potentiel qui me fait la nique et ne m’empresse pas de rencontrer mes voisins hommes-lézards de la jungle afin d’éviter une cascade de déclarations de guerre. Rester immobile dans ce jeu est vite punitif, mais je n’ose même pas choisir une victime à piller. Je saute avec bonheur sur la première proposition de pacte de non-agression.

Capture d'écran de la partie

Je continue à avancer comme un chien qui rase le sol, la queue entre les pattes arrières. Le deuxième pacte tombe, j’hésite, mais il s’agit d’une grosse faction qu’il vaut mieux ne pas trop fâcher. Cette technique n’est pas l’idée du siècle, car je n’ai plus beaucoup d’opportunités d’expansion autour de moi, mais je préfère jouer la sécurité le temps de comprendre comment fonctionne mon armée. Finalement, les nains finissent pas descendre de leur montagne pour me réclamer aussi un traité de paix, qu’ils accompagnent d’un joli cadeau monétaire.

Là, je me dis qu’il y a anguille sous roche. Et je découvre, avec stupéfaction, que mon rang de force est de niveau 3.

Le rang de force calcule la puissance des factions et les classe de la plus puissante (rang 1) à la plus faible. Et le rang de force est « mondial » (on s’entend, sur la totalité de la carte de cette campagne). Incroyable ! Toutes ces factions voisines se ruaient pour me réclamer des traités de paix parce qu’ils claquaient des genoux. Je pensais me rendre service et jouer la sécurité, alors que je ne faisais que fermer des opportunités de conquête où j’aurai pu largement leur rouler dessus. Je n’ai pas continué cette partie (rompre un traité de paix dégrade sa fiabilité et peut apporter des malus).

J’ai recommencé la partie avec une toute autre mentalité, et ça allait franchement mieux.

Entre stagiaire et suffragante

Cette campagne, je l’ai jouée au début de ma suffragance. Ce mot désigne les deux premières années d’un pasteur ou d’un diacre qui entre en pleine responsabilité dans un poste après un stage de 18 mois auprès d’un maître de stage et de différents formateurs. Et grâce à cette partie, j’ai compris que j’avais un comportement de stagiaire dans mon ministère, alors qu’il n’y avait franchement pas de quoi. Je vous explique.

Je me suis plongée dans cette campagne car je paniquais un peu. Je préparais mon tout premier entretien de baptême et je ne me sentais pas prête. Je n’en avais jamais fait pendant mon stage et je n’ai jamais été marraine. Terrain inconnu en vue. Nous avions eu un peu de théorie pendant notre formation, mais je n’étais même pas sûre d’être au clair sur les enjeux, ce qui était attendu. Le tout arrosé de questions pratiques (quand je verserai l’eau, qu’est-ce que je fais de ma manche ?).

Finalement, l’entretien s’est très bien passé. Et pour plusieurs raisons :

  1. Il s’agissait de mon premier entretien de baptême, certes, mais ce n’était pas mon premier entretien tout court. J’avais déjà pas mal de préparations de service funèbre dans les jambes, ce n’était donc pas la première fois que j’entrais chez autrui sans le connaître.

  2. Grâce au catéchisme, j’avais déjà amassé tout un tas d’outils d’animation. Des feutres et des crayons, plusieurs genres de feuilles, des supports avec versets, un photo-langage. Je suis arrivée au rendez-vous avec deux sacs remplis de matériel.

  3. Je ne suis pas seule et je sais mettre à profit l’apport des autres. J’ai donc pu m’inspirer du matériel de différents collègues pour préparer des questionnaires spécifiques aux parents, au parrain et à la marraine. Ces supports ont été utiles tant pour moi, comme un canevas et un pense-bête, que pour les membres de la famille pour leur réflexion spirituelle mais aussi pour préparer leur intervention lors de la cérémonie. Un pasteur a aussi créé un jeu de plateau pour ce type de préparation.

En arrivant à cet entretien, j’étais persuadée d’être effrayée. En réalité, entre les parents et moi, c’était plutôt eux qui n’en menaient pas large. J’ai pris conscience que c’était moi qui avais une bonne partie des cartes en main et que je pouvais être la plus intimidante. Ma posture et mon attitude, travaillée depuis plusieurs mois, ont été les piliers de ma démarche. Tant la préparation que la cérémonie furent douces et belles.

L’importance de connaître son rang de force

Cette réflexion, je n’ai pu la mener que grâce à ma campagne avec la Haute-Reine Khalida. Le parallèle a été incroyable entre mon attitude dans le jeu et celle que j’avais en entrant chez cette famille. J’avais une attitude de stagiaire inquiète, à raser le sol alors que j’avais bien assez dans ma besace pour me comporter comme une suffragante : une personne avec, certes, peu d’années au compteur, mais pleine de ressources et de compétences.

Heureusement, je n’ai pas fait la fausse modeste et j’ai accepté avec fierté et reconnaissance mes acquis.

Malgré ma jeunesse (dans le pastorat et dans la vie), je ne suis plus une novice. Ce changement de comportement est un pivot essentiel dans la carrière d’un ministre et est indispensable pour sa pertinence et sa longévité dans le métier. J’imagine également que cette expérience peut s’étendre à tous les métiers.

Une fois cette prise de conscience faite, reste à veiller au mouvement de balancier. Trouver le juste équilibre entre se méjuger ou se surestimer. Naviguer entre fausse modestie, arrogance et humilité. Bien sûr ; apprenant un jour, apprenant toujours. Mais il est essentiel de prendre conscience de notre évolution et d’être au clair avec notre rang de force actuel. Cela peut toucher à des sphères délicates comme l’estime, la confiance en soi, le regard des autres ou le perfectionnisme. Ce pivot assumé entre stagiaire et responsable peut aussi se heurter au pater-maternalisme ou agiter celles et ceux qui ne supportent pas une personne qui rayonne la confiance et l’alignement.

Ce n’est pas toujours facile, mais ce travail de congruence, de recherche d’une cohérence ajustée, est malgré tout libérateur.

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